La nouvelle apparaît dans mon agenda le jour du rendez-vous à l’hôpital. D’abord mes notes, pour savoir quoi raconter au médecin : « confusion dans ses histoires », « oubli de ses rendez-vous », « ne sait plus quelle date, jour de semaine on est », « comme si corruption de son disque dur? » Puis, ce jargon, « MoCa test ». Enfin, souligné une fois, le diagnostic : « Alzheimer ».

L’inscription marque le changement de ton de l’agenda. Des pages remplies de citations, d’images découpées et collées à la colle Pritt, notes de travailleur précaire –horaire, heures travaillées, commentaires encourageant de patrons, idées pour les prochaines affectations- des anecdotes. On voit l’espoir, la préoccupation de bien faire ce qu’il faut faire, les objectifs, une direction. À partir du moment où apparaît le mot Alzheimer, l’encre rouge-verte-mauve-orange n’est plus que noire ou bleue, l’écriture serrée, le surlignage jaune met l’accent sur la panique. On voit encore un désordre-inventif, mais c’est de la confusion-cataclysme, pas du chaos-créativité.

Surexploitation des ressources naturelles

Relire les pages post-inscription « Alzheimer » épuise. On en ressort lessivé. Y apparaissent les notes sur les dangers qui guettent ma mère (« mayo laissée sur le comptoir », « presto ?!?! », « son lit couvert de vêtements, où dort-elle ? », « clés perdues »), les rendez-vous médicaux et non-médicaux (de ma mère), la recherche de ressources (« centres de jour », « dames de compagnie », clsc, Société Alzheimer). La maladie, la gestion de la maladie (ou l’indigestion de la maladie) occupent l’espace. Pas d’espace pour d’autres horizons.

 

Illustration monochrome du visage d’une femme. La tête est altérée par une forme ronde blanche. On retrouve cette même forme mais de couleur bleu au-dessus de sa tête.Et ce qui frappe, et rabote l’épiderme jusqu’au système nerveux, à la relecture, c’est la surexploitation du « proche aidant », ou de « l’aidant naturel » (deux expressions que j’abhorre) : son temps, son énergie, sa vitalité. Sa peine, son chagrin, son désespoir. N’y aurait-il pas moyen de récupérer la peine et l’anxiété, de les recycler ? De les mesurer, pour pouvoir les transformer ? Ou, au moins, en tenir compte quand vient le moment d’évaluer qui a besoin d’aide, quand?

Si on a développé des façons de calculer le nombre d’heures/soins par jour qu’une personne requiert –ou auxquelles elle a droit- peut-être pourrions-nous mettre au point un autre calcul ? Une formule qui tiendrait compte de l’état des proches :

 

Formule D’évaluation de l’écosystème

[(pression de la langue contre le palais + avancée de la mâchoire) X (nombre d’heures de manque de sommeil + apnée au quotidien) X impatience(s)] X espace résiduel dans le cerveau10 = % de détresse.

 

Un projet à soumettre aux services d’aide locaux ? Ça s’appellerait le test de détresse liée au stress. Le test DLS.
J’imagine la conversation.