Ado, j’ai visité un foyer pour personnes handicapées. Voyage organisé par l’équipe de pastorale de l’école (la « pastopatate », ou « la patof » comme l’avaient surnommée d’autres ados). Autobus jaune, hystérie de jeunes en sortie parascolaire, aucune idée de ce qui nous attendait. Dès l’arrivée, en dix secondes, j’ai compris. Que les personnes qui s’occupaient des bénéficiaires étaient des anges. Que je n’en étais pas un.

Nous avons assisté à l’heure du repas. On ne le savait pas mais c’est évident : c’est à ce moment qu’ils ont le plus besoin de bénévoles. Nourrir à la cuillère, ça prend du temps. De la patience -je n’en ai jamais eu, je travaille là-dessus. Il me semble que les murs suintaient, tellement il faisait chaud. Le contenu des assiettes aurait normalement fait l’objet de moqueries –du genre « c’est de la décharge à grand-père »- mais nous étions trop saisis, pétrifiés, pour puiser dans notre cruauté-refuge. J’ai accompli la mission du jour en me dédoublant de moi-même, en essayant de ne pas être là même si j’y étais. Ce qui m’a fait virer l’estomac, et les talons, c’est la bave, les liquides, les odeurs. Débordements organiques.

C’était trop pour moi. Je pouvais couper un vers de terre en deux, le mettre encore gigotant au bout d’un hameçon, mais je ne pouvais pas affronter ces crues organo-orgiaques. Je trouvais que c’était pire qu’un film d’horreur.

Je me sentais coupable de ne pas être capable. Pas capable d’aider. Pas capable de donner à manger. Amorce d’une culpabilité et d’une impuissance qui allaient revenir en force.