Ils se côtoient ou se frôlent dans l’aile réservée aux personnes-mobiles-ayant-besoin-de-surveillance-ou-de-supervision. Il faut rentrer un code pour que les portes de l’unité s’ouvrent. Chacun des résidents porte un bracelet qui déclenchera une alarme si les portes sont franchies sans permission.

Dans cette unité spécialisée, le thermostat de l’ambiance reste fixe. Peu importe le temps extérieur, ici règne le calme, l’humeur égale. Des locataires sans passé commun partagent l’espace, les repas et les collations, écoutent la même musique. Mais il n’y a rien de fade ou de dilué dans la famille reconstituée.

Un homme bâti pour les travaux lourds. Des mains de sculpteur de béton armé. Chemise à carreaux, souliers de géant. Il sourit tout le temps, marche lentement, s’assoit trop près de sa voisine, souriant toujours. Pas menaçant. On a envie de le mettre à l’œuvre, de lui confier une mission à sa mesure. Rénover le stade olympique ou refaire le pont Champlain à lui tout seul. Il ne parle pas. Il ne parle plus ?

Un homme sec, tout en os, s’assoit les genoux contre la poitrine et les pieds sur le banc. « Reading and writing arithmetics ! » répète-t-il. C’est son mantra. Il le lance et se fait écho à lui-même, comme pour tester comment ça sonne, comme s’il se préparait à réaliser une publicité pour un cours de maths.

Un nouveau. Sa femme le visite chaque jour. Elle glisse ses doigts dans le col de sa chemise, les pose sur sa clavicule. Elle le fait d’instinct, sans regarder. Elle reste là, derrière lui. Leur respiration synchronisée. Scène intime dans la salle commune.

Une bénévole tirée à quatre épingles. Ses talons hauts accentuent ses mouvements vers l’avant, ils la propulsent vers les autres. Elle prononce une phrase en français, une phrase en anglais. On dirait une dompteuse de lions qui cherche des défis à sa mesure. Une productrice et distributrice d’énergie vitale.

Et Marcelle. Exploratrice des chambres et racoins, elle ratisse son territoire sans se lasser. Comme dans sa vie d’avant, quand elle partait avec son appareil-photo, prospecter son quartier.