Je mets sur papier ma fureur. Puis, j’élague. J’enlève les adjectifs et les adverbes. J’essaie de trouver le bon ton pour formuler une plainte à la commissaire aux plaintes du Centre de jour. Je fais appel à la science, à ce qu’on sait de la progression de la maladie d’Alzheimer, à ce qu’il faut faire pour la ralentir. En bref : les services sociaux ne devraient pas couper les heures de stimulation de Marcelle. Ni des autres bénéficiaires/clients/personnes atteintes de démences/amis/patients.

Rejet de la plainte.

Je m’adresse au protecteur du citoyen. Courrier recommandé. Une page, plus la copie des échanges avec la commissaire aux plaintes. Pas de digression, de détour, de broderie où transpireraient le sentiment d’injustice, la désespérance, la rage.

Les semaines passent. Les mois. D’autres mois. Encore des semaines.

Un jour, un appel. « Bonjour. C’est le bureau du protecteur du citoyen. » Je me liquéfie en même temps que je prends feu. Je réponds avec deux onomatopées. « Wow. … Wow. » C’est tout ce que j’arrive à dire.

La personne au bout du fil interprète bien ces « wow. … wow ». Peut-être que ces deux wow sobres, polis, la soulagent? Elle a peut-être la tête rentrée dans les épaules, prête à affronter l’orage? Elle dit, « Je sais. Je sais. » … « Je suis désolée. Votre dossier a été classé dans la mauvaise pile. On s’en occupe maintenant. »

M’appelle-t-elle pour vérifier si ma mère est toujours vivante, si ça vaut la peine de se pencher sur son cas, après tous ces mois?

Un dossier qui flotte, qui rebondit d’un service à l’autre. Qui jaunit. Dont les coins racornissent, dont les feuilles s’échappent, dont l’encre pâlit. Dont le nom de la plaignante, Marcelle, disparait peu à peu. Reflet de la maladie qui la ronge.

Le protecteur du citoyen n’a pas retenu la plainte.